Au début des années 1980, Dan Lacksman a composé et enregistré le tout premier générique du célèbre dessin animé des Schtroumpfs ! Pourtant, quand on regarde son parcours musical, rien ne laissait imaginer qu’il puisse croiser un jour la route de ces petits êtres bleus.
Dan Lacksman a grandi en Belgique dans une famille de mélomanes. Enfant, il suit des cours de piano et de solfège. Mais son professeur ne lui transmet pas vraiment l’envie de faire de la musique, jusqu’au jour où il reçoit sa première guitare. Il est aussi fasciné par l’enregistrement et les premiers magnétophones. Il créé alors ses premières compositions tout en aménageant un petit studio dans la salle à manger de ses parents. Puis arrive le temps du premier groupe avec des copains, les reprises de standards du rock, jusqu’à l’arrivé des Beatles. Une révélation !
Dan commence à placer des chansons qu’il a écrites auprès de maisons de disques, mais il est surtout engagé comme assistant dans un studio son de Bruxelles. Il devient ensuite pionnier dans l’utilisation des synthétiseurs en Belgique. En 1978, il forme un groupe, Telex (avec Marc Moulin et Michel Moers), dont l’orchestration repose entièrement sur des instruments électroniques. Leur succès dépasse les frontières, notamment avec le titre Moskow Diskow ! En parallèle, Dan Lacksman a monté son propre studio et travaille avec de nombreux artistes comme Patrick Hernandez, Plastic Bertrand, Lio (dont il produit le tube Banana Split) et même internationaux tels que Haruomi Honoso du groupe Yellow Magic Orchestra, pour n’en citer que quelques-uns.
C’est depuis son studio à Bruxelles, Synsound, dont il s’occupe encore, qu’il a bien voulu nous parler des Schtroumpfs, l’une des incroyables aventures qui a jalonné sa carrière.
L’interview
Quand sort ce générique des Schtroumpfs en 1982, vous avez déjà votre studio, votre groupe et vous travaillez avec de nombreux artistes. Comment est arrivé ce projet ?
En réalité, il commencé bien avant. Au cours des années 1970, j’avais entendu dire que la maison d’édition Dupuis cherchait des musiques. Ils éditaient le Journal de Spirou, dont j’étais lecteur, et ils commençaient à adapter certaines histoires pour en faire de petits dessins animés (produits par leur filiale TVA Dupuis, NDR). Je suis donc entré en contact avec eux et j’ai apporté des maquettes. Il s’agissait simplement de courts instrumentaux que j’avais réalisés dans mon studio. Parmi ceux-ci, il y avait déjà le thème des Schtroumpfs ! Je me souviens qu’ils aimaient bien ce morceau et qu’ils voulaient absolument l’utiliser, mais sans avoir encore d’idée précise de ce qu’ils en feraient. À ce moment-là, le dessin animé que l’on connaît n’était pas encore lancé.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer ce thème ?
Je n’ai évidemment pas pensé aux Schtroumpfs. Je me suis simplement mis au piano. La mélodie est venue comme ça. Je faisais ça régulièrement. C’est ainsi que je travaillais pour créer toute une collection de thèmes et de maquettes.
Par la suite, quand nous avons finalisé la chanson, mon ami Michel Moers est venu m’aider. Il a écrit un texte pour le disque 45t (il est crédité en tant que Victor Szell, NDR).
À quel moment le projet a-t-il pris forme ?
Les premiers dessins animés de Dupuis étaient uniquement destinés à un marché local qui se résumait à la Belgique, parfois un peu en France. Ils ont ensuite voulu développer quelque chose de plus grande ampleur et se sont associés avec le studio américain Hanna-Barbera (Dupuis créé alors la S.E.P.P. – Société d’Édition de Presse et de Publicité, NDR). Ils sont donc allés aux États-Unis et ont présenté mon thème comme leur choix de générique. Cependant, Hanna-Barbera souhaitait s’occuper eux-mêmes du générique. Ils ont finalement trouvé un accord : le mien serait utilisé dans le monde entier, sauf aux États-Unis où ils garderaient le leur (Schtroumpf Lala). Je pense d’ailleurs que les Américains s’en sont tout de même un peu inspiré. Le mien était un peu ternaire (sur un rythme à trois temps, NDR) avec « lala lala lala » et eux ont fait « lala lalalala » (Dan fredonne les premières notes, NDR). Ça reste dans le même esprit !
Schtroumpf Lala, second générique des Schtroumpfs
Vous êtes-vous aussi occupé de l’enregistrement ?
Bien sûr, on m’a également confié la réalisation. J’ai enregistré toutes les versions : il fallait un générique de début de telle durée, un générique de fin instrumental, mais aussi des musiques. Il y avait tout un cahier des charges très précis. Ils ne voulaient pas d’électronique, mais de vrais instruments acoustiques. J’ai demandé à un arrangeur d’écrire les partitions pour chaque instrument. Nous avons fait appel à des cuivres, des cordes, etc. C’était une grosse production qui a nécessité plusieurs jours de studio.
À propos des musiques dans la série, on en distingue deux sortes : des déclinaisons du générique et d’autres, empruntées à la musique classique (Bach, Beethoven, Shubert…). Avez-vous tout pris en charge ?
Je crois que je n’ai fait que les premiers. C’était surtout des virgules de quelques secondes, des ponctuations ou des variations sur le thème principal. Pour le reste, je ne peux pas vous répondre, mais je vois deux possibilités. Soit, ils ont utilisé des thèmes classiques déjà enregistrés dont ils ont acquis les droits. Ou alors, ils ont aussi pu les enregistrer avec des musiciens aux États-Unis.
Il existe deux versions du générique en français : une avec une voix masculine (celle du chanteur Michel Barouille) pour la Belgique et Dorothée, en France…
C’est ça ! Les Français ont fait chanter le générique par Dorothée. En revanche, ce n’est pas moi qui m’en suis chargé. Je n’en ai aucun souvenir, pas plus que de la version belge. Je me rappelle juste avoir enregistré une version avec ma fille qui était toute jeune à l’époque, mais je ne pense pas que ce fut exploité. J’ai probablement dû fournir ce qu’on appelle les backing tracks sur bandes et, ensuite, l’aventure a continué. À vrai dire, la suite m’a un peu échappé…
Version belge du premier générique des Schtroumpfs, par Michel Barouille
En effet, Les Schtroumpfs rencontre vite un énorme succès à travers le monde et c’est aussi toute une industrie musicale qui se met en place avec des albums et beaucoup de chansons. Mais vous n’y participez pas ?
Non, car j’avais aussi d’autres projets en parallèle dans mon studio, sans compter mon groupe, Telex. Je pense aussi que Peyo a reçu par la suite plein de propositions. Il y a certainement eu des accords pour développer d’autres projets avec d’autres personnes.
Aujourd’hui, malheureusement, on n’entend plus votre chanson…
Oui, c’est la version américaine qui a pris le dessus. Quand j’ai vu arriver les films d’animations en 3D, il y a quelques années, j’espérais secrètement qu’ils reprendraient peut-être mon thème, mais non ! (rires)
Avez-vous eu l’occasion de composer d’autres génériques ?
Avant que Dupuis n’utilise mon thème des Schtroumpfs, j’ai fait pour eux les génériques de plusieurs de leurs dessins animés. Il y avait les aventures d’un petit chat nommé Musti (1968). Je me souviens aussi d’un prisonnier dont les aventures étaient publiées dans le Journal de Spirou, Bobo (1975). Vers la fin des années 1970, j’ai aussi travaillé sur l’ambiance sonore d’un personnage plein de défauts qui s’appelait Flappy. L’idée était de montrer comment éviter d’être trop fainéant, trop gourmand, etc. Il fallait faire des bruits électroniques et je me suis régalé !
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis toujours actif dans mon studio. Dernièrement, j’ai travaillé avec Plastic Bertrand pour son nouvel album car il voulait un retour au son analogique. Comme j’ai toujours gardé mes vénérables synthés analogiques en état de fonctionnement, je suis régulièrement sollicité pour les utiliser.
J’ai aussi re-masterisé tout le catalogue de Telex pour une prochaine réédition prévue chez Mute Records (This is Telex, le 30 avril).
Interview réalisée en février 2021 par Olivier Fallaix pour Anisong
À écouter : Podcast LA BELLE HISTOIRE DES GÉNÉRIQUES TÉLÉ consacré aux génériques des Schtroumpfs :
Retrouvez d’autres anecdotes sur les chansons de dessins animés dans le livre La Belle histoire des génériques télé, par Olivier Fallaix et Rui Pascoal !