Mitsuko Horie : la plus grande chanteuse d’anisong

Elle fête cette année ses 56 ans de carrière ! C’est dire combien Mitsuko Horie tient une place importante dans la chanson au Japon et plus particulièrement au niveau des génériques. Interprète de ceux de Candy Candy, mais aussi d’Aishite Knight (Embrasse-moi Lucile), Hana no ko Lunlun (Le Tour du monde de Lydie), Hello ! Sandybell (Sandy Jonquille) ou encore Watashi No Ashinaga Ojisan (Papa Longues Jambes), elle a enregistré plus de 1200 chansons d’anime, ce qui lui vaut le surnom (justifié) de “Reine du monde de l’anisong”. 

C’est dans les locaux de Nippon Columbia, sa maison de disques, qu’elle a très gentiment accepté de nous recevoir pour un long entretien, le premier qu’elle n’ait jamais donné à un média français. 

L’interview

Quel genre de petite fille étiez-vous enfant et à quand remonte votre intérêt pour la musique et la chanson ?
J’étais quelqu’un de très sage, même un peu réservée. J’ai toujours aimé la musique, tout comme ma mère qui chantait un peu. Pour autant, je ne m’étais jamais imaginée être chanteuse. Je pensais plutôt devenir violoniste (ses parents l’ont inscrite à des cours de violon, NDR).
Quand j’avais 9 ans, j’ai participé à une émission japonaise, une sorte de télé-crochet qui s’appelait Nissin Chibikko Nodojiman. C’est à cette occasion que j’ai été repérée par Nippon Columbia et c’est ainsi que j’ai commencé ma carrière à l’âge de 10 ans.

Comment êtes-vous arrivée à interpréter deux ans plus tard votre premier générique pour la série Kurenai Sanshiro (Judo Boy) ?
Quand je suis entrée chez Nippon Columbia, ils avaient déjà dans l’idée de créer un nouveau genre de musique pour les enfants tourné vers l’animation qui commençait à se développer de plus en plus à la télévision. Ils souhaitent créer une musique qui soit facile à écouter et à mémoriser pour les enfants. Ils ont alors pensé qu’il leur faudrait travailler avec des personnes du même âge que le public de ces dessins animés. Ainsi, le téléspectateur pourrait mieux s’identifier à l’interprète. Et ça tombait bien, car j’avais justement 12 ans à l’époque ! Je correspondais parfaitement à cette cible.

Le 45t japonais de Kurenai Sanshirô sorti en 1969

Comment se déroulaient vos études en parallèle ?
Nippon Columbia était assez strict sur le sujet. Du lundi au vendredi, j’allais à l’école comme tout le monde. Le samedi et le dimanche, j’étais en studio pour enregistrer. Je consacrais la plupart de mes week-ends au travail de la chanson. Le département qui s’occupait des musiques pour les enfants et pour les dessins animés tenait à cette forme d’éducation. Je dirais même que l’école que je fréquentais était finalement plus sévère qu’une école normale. 

Après Kurenai Sanshirô, vous en enregistrez très rapidement d’autres génériques pour Hakushon Daimaô (Robert dans la bouteille), Mahô no Mako-chan (Makko)… Quelles qualités fallait-il avoir pour interpréter un générique ?
Selon moi, il y a trois points importants auxquels on doit prêter attention : premièrement, bien savoir mettre l’accent sur certains mots. Deuxièmement, ce qu’on appelle le “staccato” (ou piqué, un type de phrasé en solfège, NDR). Enfin troisièmement, l’attaque au début de chaque paroles. Si on arrive à maîtriser ces trois points, cela sonnera comme une musique d’anisong ! Enfin, je rajouterai une dernière qualité : avoir de l’imagination. On chante pour des genres très différents (sport, aventure, romance, science fiction…), aussi faut-il arriver à visualiser ce qu’on interprète.

Comment travailliez-vous à l’époque ? Y avait-il une préparation particulière avant d’entrer en studio ?
Le parolier ou le compositeur ainsi que les producteurs du show faisaient d’abord une audition pour trouver l’interprète. Si j’étais choisie, on organisait une rencontre avec le compositeur. Pour moi, ça ressemblait un peu à une leçon. Il m’expliquait comment il souhaitait que je chante. On discutait aussi des différents points qu’on vient d’évoquer (attaque, accent, staccato). 

Est-ce qu’on vous montrait des images du dessin animé ?
En général, l’anime n’était pas encore prêt. Parfois on me montrait quelques dessins, un storyboard ou des character designs pour que je puisse imaginer à quoi cela allait ressembler. Le plus souvent, le producteur m’expliquait juste de quoi parlait le programme. C’est en ça que l’imagination joue un grand rôle dans l’interprétation.

Le jour de l’enregistrement, combien de temps fallait-il pour enregistrer une chanson ?
Au départ, quand j’ai commencé, on consacrait une journée aux enregistrements. On devait faire l’opening, l’ending, mais aussi les versions courtes de 1 min 30 pour la télévision. On pouvait enregistrer jusqu’à six chansons par jour. Par la suite, je n’enregistrais plus que la chanson complète. Un montage était ensuite réalisé pour créer les versions TV. On avait donc un peu plus de temps et on pouvait consacrer entre une et deux heures par chanson.

C’est tout de même assez rapide !
Il faut garder à l’esprit qu’une musique d’anisong n’est pas destinée à un chanteur, mais à un programme. Chaque minute consacrée à sa réalisation est importante. Notre temps est limité et notre mission, en tant que chanteur d’anisong, c’est de bien faire les choses en temps et en heure.

 

Le 45t de Chôdenji Mashin Voltes V

En 1977, vous avez chanté le générique de début Chôdenji Mashin Voltes V. C’était la première fois qu’un générique d’une série de robot était interprété par une femme ! Qui a décidé de vous confier ce générique ?
En effet, jusqu’à présent les chanteurs d’anime de robots étaient toujours masculins. Dans Voltes V, comme il y a cinq personnages principaux, on retrouve des garçons, mais aussi une fille. Les producteurs se sont alors dits : “Pourquoi pas une chanteuse ?On arrivait aussi à un moment où Nippon Columbia souhaitait que l’anisong ne reste pas un genre niche, qu’il devienne vraiment populaire. C’était aussi l’époque où battait son plein le phénomène des idols. Je venais de rencontrer un énorme succès avec Candy Candy et, pour toutes ces raisons, ils ont pensé que j’étais la bonne personne pour tenter cette petite révolution.

En 1975, vous avez chanté le générique de La Seine no Hoshi (La Tulipe Noire) dont une autre version a été enregistrée par une Française, Arlène (Tempier). L’avez-vous rencontrée ?
Au départ, c’est seulement Arlène qui devait interpréter ce générique. Les producteurs sont venus en France pour ça, mais la chanson n’a pas pu être finalisée à temps. On m’a alors demandé de l’enregistrer et c’est ce générique qui a été diffusé au début de la diffusion de la série au Japon. Puis, quand ils ont pu terminer la version avec Arlène, elle a finalement remplacé ma version. J’étais un peu triste sur le moment, même si depuis, c’est de l’histoire ancienne. Par la suite, Arlène est venue au Japon et j’ai participé à un événement avec elle. Je la trouvais très mignonne et surtout très sage et appliquée dans ce qu’elle faisait.

Album 33t de La Seine no Hoshi

Parlons à présent de Candy Candy qui arrive à la télévision au Japon en 1976. Quel souvenir gardez-vous de cet enregistrement ?
J’ai travaillé au plus près avec le compositeur, Takeo Watanabe, une personne pour qui j’ai beaucoup de respect. Il m’a donné énormément de conseils tout au long de ma carrière. À cette époque, les dessins animés pour fille n’étaient pas très populaires. Mais avec Candy Candy, Toei Animation et Nippon Columbia s’étaient fixés comme but d’en faire un succès. Partant de là, M. Watanabe a annoncé qu’il misait tout sur moi ! Il disait : “Elle va en faire quelque chose et ça va marcher, j’y crois !” Le jour de l’enregistrement, c’est M. Watanabe qui a eu l’idée de rajouter un “ne” à la fin des paroles (Nakibeso nante sayonara ne, Candy Candy – En japonais, cette particule accentue un propos, NDR). Il disait : “Tu verras, ça va cartonner !” C’est vrai que ça changeait tout !  Une fois l’enregistrement terminé, lorsqu’on a réécouté la chanson, tout le monde était persuadé que le disque dépasserait le million de ventes ! Et ce fut le cas (rires). 

Ce générique est très connu au Japon, mais aussi à travers le monde entier car il a souvent été gardé quand le dessin animé a été diffusé dans d’autres pays. Saviez-vous qu’il avait été interprété en français ?
Bien sûr, j’ai eu l’occasion de l’écouter. Je trouve d’ailleurs que la voix sonne davantage comme une chanson, plutôt qu’un anisong. Je ne retrouve pas les fameux trois points évoqués, typiques d’un générique au Japon. Comme je ne comprends pas les paroles, c’est difficile de savoir sur quels mots est mis l’accent, mais j’ai retenu que la chanson se termine comme en japonais, sur “Candy Candy”. Malgré tout, elle est très bien interprétée !

 Cela peut s’expliquer par le fait que l’interprète, Dominique Poulain, vient du monde de la variété. Elle était choriste et avait l’habitude d’accompagner des chanteurs de pop.
Je vois ! Ce que je trouve fantastique, c’est que peu importe que les paroles aient été traduites dans plusieurs langues, cette chanson est toujours superbe. C’est pour ça qu’elle est devenue un symbole des génériques à travers le monde.

Le disque 45t japonais de Candy Candy

 J’ai cru comprendre que, pendant un moment, vous ne vouliez plus interpréter ce générique car certaines personnes ne voulaient pas entendre le reste de votre répertoire. Est-ce vrai ?
Comme vous le savez, Candy Candy s’est finalement vendu à plus d’un million d’exemplaires. Avec le recul, je sais bien que ça a été un moment important dans ma vie, mais quand j’étais plus jeune, je ne voulais pas être enfermée dans ce succès. À chaque fois qu’on me présentait quelque part, j’étais “la chanteuse de Candy”. Je voulais alors prouver que je n’avais pas chanté que ça, que je pouvais faire autre chose.

Bien que vous ayez chanté plus de 1200 chansons d’anime, vous avez aussi eu une carrière de chanteuse pop à partir de 1980. C’était important pour vous de ne pas faire que des génériques ?
En effet, je voulais être reconnue en tant que chanteuse à part entière et pas seulement sur de l’anisong. Et je dois dire que, dans les années 1980, Nippon Columbia m’a vraiment soutenu. J’ai sorti neuf albums, tout en continuant d’enregistrer des génériques. Au fil du temps, je me suis rendu compte que je prenais quand même beaucoup de plaisir à faire ces génériques. J’aimais donner mon avis sur les paroles, les arrangements. C’est pour ça qu’après ces albums, je me suis recentrée sur l’anisong. C’était plus facile et, finalement, ça m’allait très bien comme ça.

 Avec qui avez-vous travaillé pour enregistrer ces albums ? Etaient-ce les mêmes personnes qui composaient vos génériques ?
Non, c’était plutôt des gens de la j-pop (producteurs, musiciens…). J’ai aussi parfois écrit quelques musiques.

Ces neuf albums sortis jusqu’en 1986 viennent d’ailleurs d’être réédités par Nippon Columbia. Si on veut vous découvrir sous un autre jour, lequel nous conseillez-vous ?
C’est difficile de choisir car chacun a son propre style. Ils suivent une évolution du genre de la musique : certains ont été réalisés lors d’une période plutôt rock, d’autres vont vers la city pop. C’est la grande différence avec l’anisong qui vous fait passer d’un style à un autre, parfois radicalement différent. Toutes les chansons d’un album restent dans le même style. Bref, il faut tous les acheter (rires) !

Les albums j-pop de Mitsuko Horie

En parallèle de la chanson, vous avez commencé à prêter votre voix parlée à des personnages à partir de la fin des années 1970. Comment passe-t-on de la chanson au doublage ?
L’idée est venue des producteurs de Nippon Columbia et de Toei Animation, ou peut-être des chaînes de télévision. En m’entendant chanter, ils se sont dit que ce serait intéressant si je faisais du doublage. On m’a invité un jour à faire des auditions. J’ai échoué sur certaines mais réussi sur d’autres. J’ai ainsi débuté sur Uchû Majin Daikengô dont j’ai doublé l’héroïne Cléo tout en interprétant le générique. Ils pensaient qu’en ayant cette double casquette, cela boosterait aussi ma carrière d’idol. C’était un test à l’époque. Évidemment, aujourd’hui c’est devenu courant !
Contrairement à la musique où je suis seule à chanter dans le studio, quand on fait du doublage, on est réuni avec tous les autres comédiens. C’était stressant de se retrouver dans ce monde différent que je ne connaissais pas, entourée de tous ces gens.

Vous avez créé Micchi Singers Lab pour former de nouveaux chanteurs. Que leur apprenez-vous ? Est-ce qu’on chante de la même manière aujourd’hui qu’il y a 30 ans ?
La musique a bien sûr changé en trente ans. Les tempos sont surtout beaucoup plus rapides. Il faut mettre plus de paroles. Il faut chercher à ce que l’enchaînement de ces paroles fonctionne. C’est surtout là qu’est la difficulté quand, auparavant, on avait plus de temps pour placer son texte. Ce que je donne généralement comme conseil et qu’on ne peut pas mettre dans les paroles, c’est d’envoyer de l’émotion à travers la mélodie. C’est quelque chose que j’ai toujours plus ou moins fait naturellement et je voudrais arriver à le transmettre.

Est-ce qu’on aura un jour la chance de vous voir chanter en France ? Êtes-vous déjà venue dans notre pays ?
Je ne suis encore jamais venue. Je ne connais la France que par le biais de la télévision et je l’imagine à ma façon à travers des reportages sur de la nourriture, des lieux, etc. Mais j’aimerais beaucoup venir et visiter tout le pays, pas seulement Paris. 

Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas eu cette possibilité de devenir chanteuse ?
Fleuriste ! J’adore les fleurs, en particulier les freesias dont l’odeur me rappelle ma mère qui les appréciait beaucoup.

Interview réalisée en mai 2024 par Olivier Fallaix
Un grand merci à Widad Noureddine pour son aide et pour la traduction

Site officiel de Mitsuko Horie (en japonais)

BONUS

Les chansons « les plus… » selon Mitsuko Horie

 

  • La plus connue au Japon ?
    Candy Candy  (Candy Candy, Opening)
  • La plus romantique ?
    Kimi no hikari (Doraemon – Nobita to kiseki no shima, Insert Song Film 2012)
  • La plus dynamique ?
    Crossfight ! (Haja taisei Dangaiô, Opening, avec Ichirô Mizuki)
  • La plus symphonique ?
    Wakare (Uchû Senkan Yamato III, Ending #2)
  • La plus comique ?
    Anata ni Shinjitsu Ichiro (Dr. Slump, Ending #4 par Obochaman)
  • Le plus difficile à chanter ?
    Suna to shi no Ballad (Desert Punk, Insert Song)
  • Le plus beau duo ?
    Crossfight ! (Haja taisei Dangaiô, Opening, avec Ichirô Mizuki)
Sorti en 2020, le double album One Girl BEST commémore les 50 ans de carrière de Mitsuko Horie

[ Discographie sélective ]

1969 Kurenai Sanshirô / Judo Boy (OP2)
1971 Mahô no Mako-chan / Makko (OP, ED)
1973 Kerekko Demetan / Demetan (OP, ED)
1975 Wanpaku Ômukashi Kum Kum / Kum Kum (OP, ED)
1976 La Seine no Hoshi / La Tulipe Noire (OP1, ED1)
1976 Candy Candy (OP, ED)
1977 Chôdenji Mashin Voltes V (OP)
1979 Hana no ko Lunlun / Le Tour du monde de Lydie (OP)
1980 Mahô SHôjo Lalabel / Le Monde enchanté de Lalabel (OP, ED)
1981 Hello ! Sandybell / Sandy Jonquille (OP, ED)
1983 Aishite Knight / Embrasse-moi Lucile (OP)
1984 Mori no Tonto Tachi / L’Histoire du Père Noël (OP, ED)
1988 Don Don Domel to Ron / Cubitus (OP, ED)
1989 Himitsu no Akko-chan / Caroline (OP, ED)
1990 Watashi No Ashinaga Ojisan / papa Longues Jambes (OP, ED)
1992 Kaze no naka no shôjo – Kinpatsu no Jeanie / Le Rêve de Jeanie (OP, ED)
1999 Bikkuriman 2000 (ED4)
2003 Submarine Super 99 (ED)
2007 Kaze no Shôjo Emily (OP)
2023 Bishôjo Senshi Sailor Moon Cosmos / Pretty Guardian Sailor Moon Cosmos (ED)

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